La dégradation des terres agricoles est un enjeu crucial pour les pays du monde entier, et la France n’échappe pas à ce constat. Depuis des décennies, des décisions politiques ont eu des conséquences désastreuses sur les sols agraires français. La situation actuelle en Ukraine ne fait qu’accentuer cette préoccupation mondiale et si rien n’est fait, la France fera face à une crise multidimensionnelle.
Une dégradation des sols liée à notre mode de production
La dégradation des sols en France peut prendre différentes formes. Premièrement il est question de la perte de fertilité, soit la diminution de la capacité des sols agricoles à produire des cultures de manière durable et rentable. Deuxièmement, on retrouve la compaction. Il s’agit du processus durant lequel les sols deviennent durs et denses à cause de la pression exercée par des machines lourdes. Troisièmement, la dégradation des sols peut prendre la forme de l’érosion qui fait référence à la perte progressive de la couche supérieure du sol agricole due à l’action des éléments naturels (eau, vent, gravité) entraînant une diminution de la qualité de la fertilité du sol. Enfin, la contamination des sols agricoles advient lorsqu’ils sont infectés par des substances toxiques ou des polluants (produits chimiques, pesticides, engrais). Il est donc vital de comprendre comment ce phénomène se produit et comment il peut aller jusqu'à la destruction des sols.
La destruction biologique des sols est un problème majeur en France, principalement due à l'utilisation intensive de pesticides, d'engrais et d'autres produits chimiques. Avec l’utilisation de ces derniers, une quantité d’azote trop importante est libérée ce qui permet aux bactéries de proliférer. Les bactéries vont d’une part attaquer la plante et d’autre part réduire la quantité de champignons qui permettent la régénération de la matière organique, ce qui favorise la diminution des nutriments des terres agricoles.
L'utilisation excessive d'engrais et de produits chimiques met les plantes sous perfusion, ce qui leur permet de survivre sans racines profondes. Cela provoque l'érosion des sols qui se referment sur eux-mêmes, empêchant l'eau et l'oxygène de passer dans la terre. Par conséquent, les racines restent quasiment en surface et deviennent totalement dépendantes des produits chimiques pour survivre. Ceci entraîne les agriculteurs dans une fuite en avant, obligés qu’ils sont d’utiliser de plus en plus de produits chimiques qui réduisent la taille des racines pour essayer de conserver leur rendement.
Les répercussions liées à cette situation sont alarmantes, avec quatre conséquences majeures. D’abord, il y a un manque de diversité lié au fait que les producteurs ont préféré choisir que des cultures à haut rendement. D’après un document préparatoire de 2015 « au cours des deux dernières décennies, 75 % de la diversité génétique des cultures agricoles a été perdue ». Au XIXème siècle, il y avait environ 10 000 espèces de blé. De nos jours, il n'en existe qu’une dizaine. La deuxième conséquence est un manque de rendement. L’utilisation de produits chimiques va faire augmenter les pertes d’eau et de nutriments ce qui a pour conséquence de réduire l'infiltration de l’eau dans les sols entraînant un stress hydrique pour la plante (pas assez d’eau pour répondre à ses besoins) et donc une réduction des rendements. Se retrouve également une perte de valeur nutritive provenant d’une diminution de la disponibilité des nutriments essentiels impactant sa croissance. La dégradation des sols peut aussi avoir un impact sur le cycle carbone. Les sols étant une source de stockage de carbone, leur agonie peut entraîner une libération du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et donc augmenter les émissions de gaz à effet de serre.
Une politique agricole à revoir
Les politiques publiques portent une grande part de responsabilité dans cette situation. Depuis les années 1950, elles ont en effet permis aux industriels d'infiltrer le marché agricole, ce qui a eu pour conséquence d’engendrer un nouveau modèle centré sur le profit, au détriment de la qualité des sols, de la qualité des productions et de la santé des agriculteurs. La France a ainsi perdu une partie considérable de son tissu agricole. En effet, dans les années 1970, l’Hexagone comptait 1,6 million d’exploitations agricoles. En 2020, il en restait un peu moins de 400 000. Cela s’explique par le fait que les agriculteurs ont dû s’adapter au nouveau paradigme : les petites et moyennes exploitations ont fermé, ont fusionné, ou ont été rachetées par des grandes industries privilégiant des méthodes plus productives. Toujours dans cette volonté d'augmenter les profits, les agriculteurs restants vont chercher à acquérir des outils plus performants donc plus cher. De ce fait, ils sont dans l’obligation d’investir massivement pour survivre jusqu’à l'endettement. Malgré les aides versées par le gouvernement et par l’Union européenne, la situation des agriculteurs est critique. On le constate notamment avec le taux de sucuide en France de la filière. Les chiffres sont inquiétants. Depuis 2016, 529 agriculteurs se sont suicidés, d’après la Mutualité Sociale Agricole soit un tous les deux jours.
La deuxième erreur fut d'augmenter la part d'importation de céréales, de fruits et de légumes, réduisant ainsi la productivité française et mettant en danger notre sécurité alimentaire. Si la France était en 1960 la première puissance productrice de pommes, elle n’est plus aujourd’hui que sixième au classement. Il en va de même pour la production d’asperges où l’Hexagone était leader dans les années 1960-1970. Aujourd’hui elle se retrouve au quatrième rang européen derrière l'Allemagne, l'Italie et l’Espagne. Enfin, véritable orgueil national, la France a pendant longtemps été le premier vignoble du monde. Depuis 2015, c’est l'Italie qui est la première nation (50 millions d’hectolitres en 2022), la France étant passée au deuxième rang (44 millions d’hectolitres en 2022). Concernant notre alimentation carnée, la viande est aujourd’hui importée à hauteur de 50 %. En ce qui concerne les fruits et légumes, la part issue de l’étranger s’élève à 40 %. En somme, nous sommes de plus en plus dépendants d'autres pays, notamment du Brésil et de l'Argentine, ce qui peut facilement nous handicaper lors de négociations commerciales.
Des solutions naturelles envisageables
Pour sortir de cet engrenage, il est plus qu’urgent de revoir notre politique agricole. Il est ainsi nécessaire de restaurer les sols français en mettant en place des mesures pour réduire l'utilisation excessive de produits chimiques, encourager les pratiques agroécologiques et diversifier les cultures.
Pléthore de solutions naturelles existent comme le bocage traditionnel. Il s’agit d’un système agricole qui consiste en la plantation de haies d’arbres et d’arbustes qui délimitent les champs et les pâturages. Ce système a de nombreux avantages (protection contre l’érosion, réduction de la pollution, préservation de la biodiversité…).
Les vers de terre contribuent aussi à la circulation de l’air favorisant la pénétration de l’eau dans les sols. De plus, ils fertilisent le sol en ingérant de la matière organique et en la transformant en humus (riche en nutriments qui enrichit le sol).
La rotation des cultures est également un bon moyen de favoriser la fertilité du sol et de réduire la propagation de maladies et de ravageurs car en évitant de cultiver la même plante plusieurs années de suite limitant la prolifération des organismes nuisibles. Ce système a pour avantage que les différentes cultures absorbent des nutriments spécifiques dans le sol. Or en les alternants, on permet aux nutriments de se reconstituer naturellement et donc d’éviter un épuisement des ressources.
L'État a un rôle crucial à jouer en soutenant les agriculteurs dans cette transition. Il peut insuffler une politique agricole plus saine à la fois en subventionnant ces types de productions, en proposant la création de labels contraignants, et en taxant, le cas échéant, les entreprises utilisant trop de produits chimiques. Il devra massivement investir dans la régénération des sols car à terme, le territoire sera confronté à une crise agricole majeure qui prendra des décennies à être résolue, mettant les habitants et le pays dans une situation extrêmement délicate d’un point de vue économique, environnemental et social.
La gestion de l'agriculture française depuis les années 1970 n’est pas convaincante et doit être nettement améliorée. Il est temps que l’État prenne des mesures pour restaurer nos sols, garantir la qualité et la sécurité alimentaire, et préserver l'environnement. Plus les prises de décisions seront lentes, plus le pays va s'engluer dans une crise multidimensionnelle. À terme, les sols agricoles ne seront plus fertiles ce qui aura des répercussions à la fois environnementales (augmentation des gaz à effet de serre), sociales (filière agricole en péril) et économique (zone d’influence restreinte et dépendance accrue envers certains pays). Il est temps d’agir !
Hugo Delgenes pour le club Risques de l’AEGE
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